La descente aux enfers semble inexorable pour Haïti. Selon l’ONG Human Rights Watch, les meurtres, enlèvements et violences sexuelles perpétrés par les groupes criminels de Port-au-Prince ont augmenté de façon dramatique dans le pays depuis le début de l’année.

De son côté, l’ONU a annoncé, vendredi 18 août, avoir recensé au moins 2 439 morts et 902 blessés sur ce territoire entre le 1er janvier et le 15 août. Dans la capitale, où des gangs contrôlent 80% du territoire, des milliers d’habitants ont dû fuir leur quartier. Franceinfo vous explique la situation.

Des bandes armées qui sèment la terreur

Au sud de Port-au-Prince, le quartier de Carrefour-Feuilles est devenu le dernier symbole du chaos qui règne en Haïti. Des maisons y ont été pillées, incendiées, et des victimes tuées à l’arme automatique lors d’attaques par un gang criminel. Depuis le début de la semaine, plus de 5 000 personnes ont fui le quartier, selon la Protection civile haïtienne. A pied, à moto ou entassés dans des voitures, les habitants ont quitté précipitamment leur domicile, trouvant refuge dans des établissements scolaires, centres sportifs, ou parfois dans la rue. 

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Le secteur de Carrefour-Feuilles, qui surplombe la capitale, est stratégique pour les 150 gangs en activité recensés par Human Rights Watch. D’après Hervé, journaliste à la radio locale Kiskeya, le quartier présente un intérêt “parce que les gangs vont (…) dominer le centre-ville de Port-au-Prince, pour pouvoir multiplier les kidnappings et rançonner la population.” Selon les Nations Unies, plus de 1 000 personnes, dont 300 mineurs et femmes adultes, ont été enlevées au cours de la première moitié de l’année. Ils sont, dans la plupart des cas, utilisés pour des avantages financiers ou tactiques par les gangs.

Cette crise sécuritaire vient aggraver une crise humanitaire, économique et politique déjà dégradée, dans un pays où 60% des Haïtiens vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté. “Près de la moitié de la population est en situation d’insécurité alimentaire grave”, s’alarme Human Rights Watch dans son rapport, publié lundi 14 août. Une des habitantes du bidonville de Cité-Soleil a ainsi confié à l’ONG ne pas manger tous les jours. “Nous ne buvons que de l’eau de pluie [et] mes enfants ont mal au ventre. Nous n’avons pas eu d’électricité depuis longtemps non plus”.

Des lynchages organisés par des citoyens

Face à l’impunité des gangs et à l’inaction de l’Etat, plusieurs groupes d’auto-défense, tels que le mouvement “Bwa Kalé”, se sont constitués au sein de la population. Ce phénomène a pris de l’ampleur le 24 avril, lorsqu’une dizaine de membres présumés de gangs ont été lapidés et brûlés vifs par des habitants du quartier de Canapé-Vert.

En juin, ce mouvement de “justice populaire” a été à l’origine de la mort de plus de 200 membres présumés de gangs dans tout le pays, souvent avec la complicité de policiers, rapporte Human Rights Watch. Les gangs ont promis des représailles, signe d’une escalade dans la violence. En avril, l’ONU a déclaré que “l’insécurité à Port-au-Prince avait atteint des niveaux comparables à ceux d’un conflit armé”.

Les autorités démunies face à la situation

Pourquoi Haïti a-t-elle sombré dans le chaos ? “L’Etat, qui est le régulateur légitime de l’ordre public, le garant de la sécurité, n’existe plus. Il s’est effondré. Il a été remplacé par des gangsters, des brigands avec la complicité silencieuse du gouvernement”, analyse auprès de RFI Jean-Marie Théodat, maître de conférences en géographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

En effet, ni le gouvernement, ni la police, sous-équipée et en sous-effectif, ne parviennent à lutter contre ces groupes criminels. Selon Human Rights Watch, plusieurs de ces groupes auraient en outre des connexions avec des acteurs politiques, économiques, ainsi que des policiers, ce qui pourrait expliquer l’absence de poursuites ou de condamnations envers les auteurs d’exactions depuis le début de l’année. 

L’île n’a pas connu d’élections démocratiques depuis 2016, et n’a plus de président ni d’élus politiques. Le président haïtien Jovenel Moïse, assassiné en juillet 2021, avait fait appel à ces gangs dans un contexte de soulèvement populaire “pour terroriser la population et la décourager de manifester”, ajoute pour RFI l’historien Christophe Wargny. “Il est probable qu’à un moment donné, les deals qu’il avait passés avec les gangs n’ont pas été respectés, et qu’il a fini par être lui-même victime de ces gangs, comme un apprenti sorcier”.

Depuis cette exécution, le Premier ministre Ariel Henry a pris la tête d’un gouvernement décrié. Il n’est pas parvenu à s’entendre avec les acteurs politiques haïtiens et les représentants de la société civile pour permettre une transition démocratique. “On se demande si ces gangsters ne sont pas un écran de fumée, un alibi opportun”, s’interroge Jean-Marie Théodat. “Sous prétexte d’une insécurité qui empêche l’organisation d’élections, ces gens se maintiennent au pouvoir, et nous savons que c’est une tâche très lucrative”, dénonce encore le géographe au micro de RFI.

Une intervention militaire internationale réclamée par l’ONU

La sortie de crise ne semble pas proche. La dernière réunion entre acteurs et civils haïtiens, organisée en juin par la Caricom (Communauté caribéenne) à Kingston en Jamaïque, s’est terminée sans la signature d’un accord. L’entité caribéenne et les Etats-Unis ont toutefois annoncé, le même mois, la création d’une unité d’investigation criminelle et transnationale en Haïti, afin de lutter contre la contrebande d’armes à feu et de munitions ainsi que la traite des êtres humains. En effet, selon l’ONU, la grande majorité des armes utilisées par les gangs haïtiens arrivent des Etats-Unis, en transitant par la Floride.

Dans un courrier du 14 août adressé au Conseil national de sécurité de l’ONU, le chef de l’organisation Antonio Guterres a réclamé le déploiement “urgent” d’une force multinationale de police pour lutter contre les gangs armés en Haïti. Fin juillet, le Kenya avait déclaré être prêt à prendre la tête de cette force multinationale, qui ne dépendrait pas de l’ONU, et à déployer 1 000 policiers “pour aider à former et aider la police haïtienne à rétablir la normalité dans le pays et à protéger les installations stratégiques”.

Les Etats-Unis, qui président en août le Conseil de sécurité, se sont engagés à dégager des ressources, sans en préciser le montant, et à déposer une résolution d’autorisation devant le Conseil.

Si les pays ne se pressent pas pour intervenir en Haïti, c’est que la crainte d’un enlisement est tenace. La Minustah (mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti mise en place de 2004 à 2017) a laissé un souvenir catastrophique à la population – épidémie de choléra, exactions de la part des Casques bleus – et s’est soldée par un échec. “Si le soutien international en matière de sécurité est essentiel, il ne pourra probablement être efficace qu’avec la constitution d’un nouveau gouvernement de transition, associée à une réponse multidimensionnelle prévoyant des garanties suffisantes en matière de respect des droits humains”, analyse de son côté Human Rights Watch.