C’est un plaidoyer pour sauver une nature en danger. Un cri d’alarme pour sensibiliser le public au sort des espèces animales présentes sur le territoire français. Au lendemain de la Journée internationale de la biodiversité, France 2 diffuse mardi, à 21h10, le film Vivant, réalisé par Yann Arthus-Bertrand. Interview du réalisateur et photographe, auteur du best-seller mondial La Terre vue du ciel.

Franceinfo : Comment est née l’idée de ce film ?

Yann Arthus-Bertrand : Le projet est né pendant le confinement. J’habite en bordure de la forêt de Rambouillet (Yvelines). Tous les jours, pendant trois mois, je me suis promené dans cette forêt, vidée de ses visiteurs, et j’ai été profondément marqué et imprégné par l’harmonie qui y régnait. Je me suis dit : “J’ai fait le tour du monde, et finalement, je ne connais pas ce qu’il y a autour de chez moi.” J’ai réfléchi, beaucoup lu, et je me suis rendu compte qu’il y avait un film à faire sur la biodiversité en France. Et comme c’était un film impossible à faire seul, nous avons eu l’idée, avec mon équipe, de demander à tous les gens qui filment la nature de nous envoyer des images.

Nous avons été soufflés par la qualité et la quantité de ce que nous avons reçu de 200 naturalistes passionnés : 900 heures de rushs extraordinaires de certains qui ne filment que les chauves-souris, d’autres que les libellules… Je salue leur formidable travail, grâce auquel le film peut exister.

Ce film a-t-il été difficile à réaliser ?

Oui, car c’est un catalogue amoureux. Il était donc difficile de raconter une histoire. Mais je pense que ce film est assez unique. Il m’a beaucoup appris. Je ne savais pas, par exemple, que le martinet passait entre six et dix mois dans le ciel sans se poser, dormant à 3 000 mètres d’altitude, mangeant et se reproduisant dans le ciel. Je ne savais pas qu’il y avait 5 000 espèces de papillons français et que seulement 250 d’entre elles vivaient le jour.

Ce film montre aussi à quel point cette biodiversité se dégrade. La disparition des insectes, par exemple, est extrêmement inquiétante. Ils sont le carburant de la vie, le lubrifiant des écosystèmes. Par ailleurs, le nombre d’oiseaux diminue drastiquement et, par endroits, près de 60% des oiseaux des plaines ont disparu à cause des pesticides et des engrais. On est en train de détruire une biodiversité et on ne s’en aperçoit pas. On se dit que perdre 1 à 2% d’insectes par an, ce n’est rien, mais en fait, c’est effrayant.

Vous sentez-vous investi d’une mission en réalisant vos films qui sensibilisent au respect de l’environnement ?

Je m’intéresse à l’environnement depuis que j’ai 20 ans. Vous imaginez l’énorme pas que j’ai fait depuis ! Aujourd’hui, avoir 20 ans, c’est s’inquiéter lorsque l’on voit le rapport du Giec et qu’on lit un tweet du secrétaire général de l’ONU affirmant : “Le rapport du Giec est le plus terrifiant que j’aie jamais lu de ma vie.” Cela nous remet à notre place. Moi, lorsque j’avais 20 ans, je voulais protéger les rhinocéros, les éléphants. Aujourd’hui, l’espèce que l’on doit protéger, c’est l’homme. En même temps, lorsque l’on travaille sur la biodiversité, on réalise très vite que l’on peut changer les choses. Il y a une résilience incroyable, donc c’est très positif. Alors que nous sommes écrasés par ce qui se passe sur le changement climatique auquel on ne peut pas changer grand-chose, même s’il faut agir et lutter, bien sûr.

En vieillissant, je me rends compte que j’ai un respect fondamental, profond et viscéral pour le vivant et pour les animaux sauvages, avec cette difficulté qu’ils ont à cohabiter avec nous. Tous les animaux sauvages ont peur de nous. Ce film, je l’ai fait afin de recréer un lien avec la nature, car nous sommes, nous aussi, des animaux. Ils sont notre famille. 

A travers tous vos films, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

J’ai passé ma vie à la recherche de la beauté du monde, à aller chercher les plus belles montagnes, les plus belles forêts, les plus belles villes. Mais au fond, c’est quoi la beauté ? Aujourd’hui, je dirais que ce sont les gens qui s’engagent, les gens qui font. Ce sont ces milliers d’associations faites de bénévoles qui y croient. Voilà aujourd’hui ce qui me touche.

Que peut-on faire concrètement pour l’environnement selon vous ? 

Les choses essentielles que l’on peut faire, c’est manger bio, car les pesticides font des dégâts considérables sur la vie autour de nous, et éviter de consommer de la viande industrielle, car c’est vraiment en train de détruire la planète. On donne des conseils sur la déforestation au Brésil, on dénonce l’huile de palme et, chez nous, nous sommes incapables de faire quoi que ce soit. Pourquoi l’Etat n’est-il pas capable d’aider les gens à faire évoluer les choses ?

N’avez-vous jamais eu envie de vous engager en politique ? 

Je ne saurais pas faire. On peut être un bon journaliste, un bon réalisateur, mais la politique, c’est un métier. Quand on fait un film qui va être vu par des millions de personnes, on est beaucoup plus fort qu’un discours politique. J’ai déjà été approché pour faire de la politique, mais j’ai vite compris que ce n’était pas mon truc. Je suis trop naïf, trop gentil. Un jour, Michel Rocard m’a dit : “La méchanceté est une qualité en politique.” Lorsque vous entendez ça, cela ne donne pas envie de vous engager. Et puis l’homme politique est le miroir de ce que nous sommes. Il n’a pas été élu pour prendre des décisions courageuses ou dangereuses. Lorsque l’on fait la marche pour le climat, nous sommes 35 000 dans la rue, lorsqu’il y a la Coupe du monde, il y a en a 2 millions. Lorsque nous serons 2 millions pour le climat, les choses changeront.

Qu’est-ce qui vous irrite le plus aujourd’hui ? 

Lorsque je fais une conférence, et que j’explique l’impact néfaste de la consommation de la viande industrielle, la souffrance animale, la déforestation, le poids carbone, les élevages intensifs… Et lorsque, à la fin, je demande qui veut devenir végétarien, il y a juste trois mains qui se lèvent sur 300 ou 400 personnes. Je me dis : “Pourquoi, moi, cela me touche et que cela ne touche pas les autres ? Pourquoi j’ai compris et pas eux ?” Par contre, lorsque je fais une conférence devant des jeunes, 60% d’entre eux lèvent la main lorsque je pose la même question. Je ne comprends pas pourquoi la génération des 40-50 ans n’est pas sensible à cela. Pourquoi ne sommes-nous pas capables de mieux expliquer à quel point il est important de changer notre façon de consommer ? La conscience ne suffit pas, nous avons besoin d’actes.

Le documentaire Vivant, réalisé par Yann Arthus-Bertrand, est diffusé mardi 23 mai à 21h10 sur France 2 et visible sur france.tv

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