“Aujourd’hui, il y a urgence à agir” pour le climat. La personne qui s’exprime ainsi auprès de franceinfo début mai n’est pas membre d’une ONG de lutte contre le réchauffement climatique. Non, Bertille Knuckey est gérante pour Sycomore Asset Management. Avec 16 autres investisseurs et l’association Follow This, ce gestionnaire d’actifs a déposé une résolution demandant à TotalEnergies de revoir ses objectifs climatiques. Le texte sera soumis à un vote lors de l’assemblée générale de la major pétrolière, prévue vendredi 26 mai.

“TotalEnergies, par son activité, contribue très fortement au réchauffement climatique”, souligne Bertille Knuckey. Selon elle, la stratégie climat du groupe, modifiée en mars, est “très loin du compte par rapport à l’effort qu’il faudrait fournir aujourd’hui”. Concrètement, la résolution demande à TotalEnergies d’aligner sur l’accord de Paris ses objectifs pour 2030 de réduction des émissions de gaz à effet de serre, moteurs du réchauffement climatique.

Dans le bilan carbone d’une entreprise, ces émissions sont divisées en trois catégories, appelées “scopes” 1, 2 et 3. Le premier correspond à celles qu’elle contrôle directement. Le deuxième à celles liées à sa consommation d’énergie. Et le dernier aux rejets de gaz à effet de serre générés en amont de son activité par ses fournisseurs et en aval par ses clients. La résolution étudiée vendredi vise en particulier ce scope 3, qui correspond principalement pour TotalEnergies aux émissions produites par les clients de l’entreprise en consommant son pétrole et son gaz. Pour le groupe, ces rejets indirects représentaient 90% de son bilan carbone en 2022 (PDF, page 300).

Les objectifs à moyen terme, une étape cruciale

“Leur objectif sur ce scope n’est pas suffisamment précis et ambitieux. Ils ont donné une fourchette très large”, argumente Guillaume Lasserre, directeur adjoint de la gestion de La Banque Postale Asset Management, l’un des investisseurs qui portent cette résolution. Dans le plan climat actualisé en mars par le groupe pétrolier, l’entreprise s’est engagée à émettre moins de 400 millions de tonnes de CO2 équivalent (CO2éq) à l’horizon 2030 pour son scope 3, qui était de 389 millions de tonnes de CO2éq en 2022. “Si c’est proche de 400 millions de tonnes, on ne voit pas comment cela peut être conforme aux objectifs de l’accord de Paris”, s’interroge Guillaume Lasserre.

Pour Follow This, l’ONG néerlandaise qui a formé cette coalition d’investisseurs frondeurs, insister sur les objectifs de réduction d’émissions à moyen terme paraît crucial. “Nous avons un peu peur que les objectifs de neutralité carbone en 2050 [un engagement de TotalEnergies] ne soient utilisés comme une diversion des actions pertinentes à moyen terme, redoute McKenzie Ursch, directeur juridique de l’ONG. Si nous ne commençons pas à baisser drastiquement nos émissions dans la prochaine décennie, l’objectif de limiter le réchauffement à +1,5°C [l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris] est perdu.”

TotalEnergies appelle à voter contre

TotalEnergies a accepté que cette résolution, simplement consultative, soit mise à l’ordre du jour de son assemblée générale. Pour l’entreprise, le risque est avant tout médiatique et symbolique. Un score élevé, lors du vote, démontrerait qu’une partie de ses actionnaires désapprouve sa stratégie climatique, déjà critiquée par les organisations environnementales.

Le géant pétrolier et gazier appelle donc à voter contre. “La résolution proposée n’apporte pas de réponse crédible aux enjeux du changement climatique et serait contraire aux intérêts de la Société, de ses actionnaires et de ses clients”, écrit l’entreprise dans un communiqué, en estimant que sa stratégie est “cohérente et efficace pour être un acteur majeur de la transition énergétique”. Elle refuse au passage d’être “responsable” d’émissions issues de produits dont “l’usage relève de la décision de ses clients”.

Un argument qui fait sourire McKenzie Ursch. “Je me demande bien ce que quelqu’un peut faire avec un baril de pétrole, à part le brûler” et émettre des gaz à effet de serre, ironise le responsable de Follow This. Plus sérieusement, il observe que TotalEnergies, comme d’autres pétroliers, s’est fixé des objectifs sur le fameux scope 3. “Ils ont déjà pris cette responsabilité, ils doivent juste faire plus”, martèle-t-il. 

“Ce n’est pas un délire de quelques petites sociétés de gestion”

Les porteurs de la résolution peuvent-ils obtenir gain de cause lors de l’assemblée générale vendredi ? En 2020, une première mouture avait obtenu 16,8% de votes favorables, relataient alors Les Echos (article payant). En 2022, une autre résolution, contraignante, n’avait pas été inscrite à l’ordre du jour par TotalEnergies, qui estimait qu’elle empiétait sur les prérogatives du conseil d’administration. Le texte de 2023 est consultatif pour éviter cet écueil.

“Bien sûr, nous voulons une majorité, mais ce n’est pas forcément le but de départ, reconnaît McKenzie Ursch. Le soutien d’une minorité visible enverrait un signal clair à l’entreprise sur la nécessité de changer de trajectoire”. Active auprès d’autres groupes pétroliers, comme BP ou Shell, Follow This a vu des entreprises “commencer à changer” à partir de 10-15% de votes sur des résolutions semblables. Guillaume Lasserre espère, lui, qu’elle réunira plus de suffrages que les 1,4% des actionnaires qui l’ont déposée : “Pour nous, c’est un succès si l’entreprise se rend compte que ce n’est pas une lubie de quelques petites sociétés de gestion, mais un sujet de fond, qu’elle devra prendre en compte.”

Bertille Knuckey veut croire que la “dynamique” est plus porteuse cette année qu’en 2020 ou 2022. Elle cite la mobilisation de certaines associations, qui appellent sur Twitter au blocage de l’assemblée générale, et la tribune, dans Le Monde, de scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui exhorte les actionnaires à voter contre la stratégie climat de la firme.

Une démarche saluée par les ONG écologistes

Les porteurs de la résolution dissidente jugent ce levier d’action utile pour lutter contre le réchauffement climatique. “Les compagnies pétrolières vont jouer un rôle important dans la transition, veut croire McKenzie Ursch. Elles ont le capital et l’expertise technologique pour faire les investissements nécessaires et effectuer la transition énergétique.” “Notre poids au capital est assez faible, pourtant nous arrivons à déclencher cette discussion difficile, qui implique des transformations de l’entreprise”, constate Guillaume Lasserre.

Aux Amis de la Terre, une ONG engagée dans une lutte frontale contre TotalEnergies et son projet pétrolier Eacop-Tilenga en Afrique de l’Est, Lorette Philippot trouve “tout à fait utile” que “des investisseurs disent la même chose que les scientifiques et les ONG”. Baraka Lenga, un opposant tanzanien au controversé projet Eacop-Tilenga, voit dans ce vote un moyen de “mettre la pression pour que TotalEnergies stoppe” la construction de ce pipeline et de ces puits d’exploitation. Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance, une ONG spécialisée sur les enjeux de finance et climat, voit dans ces dépôts de résolution des “outils intéressants entre les mains des actionnaires”, à condition d’être “intégrés à une stratégie plus globale. Une fois qu’on a voté une fois, deux fois, trois fois, il faut désinvestir parce qu’il n’y a plus rien à attendre de l’entreprise”, estime-t-elle.

Une décision prise par La Banque Postale Asset Management pour des entreprises pétrolières américaines. “Nous en sommes sortis parce que la discussion était très difficile”, explique Guillaume Lasserre. Le financier “reste convaincu” qu’un dialogue “serein” est possible avec TotalEnergies, qu’il considère comme “l’un des meilleurs élèves” parmi les entreprises pétrolières.

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